Comme tous les marchés EdTech du monde, celui de l’Inde a connu une grande accélération durant la pandémie. De nombreuses licornes apparaissent et celles qui étaient déjà au premier plan, comme Byju’s, EdTech la plus valorisée au monde, continuent de croître. Cette explosion est arrivée pour plusieurs raisons, mais elle pourrait connaître une chute aussi renversante que le marché chinois, que nous avons étudié dans l’une de nos précédentes #EdTechWeekBySimone. On vous explique !
Pourquoi un tel succès autour des EdTech en Inde ? Quels sont les enjeux du pays et y a-t-il un risque de chute du marchĂ© ? 🇮🇳Â
Le marché edtech indien est l’un des plus grands du monde, principalement en raison de sa densité de population. L’Inde est le deuxième pays du monde en termes démographiques. Ses nombreux habitants (1.3 milliards en 2019) ont pour 50% d’entre eux moins de 25 ans et 28% ont moins de 14 ans ; une belle opportunité de développement pour les nouvelles technologies de l’éducation. Les investisseurs l’ont bien compris, et passent de 0,5 à 4 milliards d’investissements entre 2019 et 2021 ! Des dizaines de start-ups se lancent dans l’aventure, prônant “une éducation plus amusante”. Ce sont des millions d’apprenants qui utilisent désormais ces “technologies transformatrices de l’éducation” et celles-ci s’exportent aussi à l’étranger, comme la plateforme interactive Quizizz dont vous a déjà parlé Anne-Emmanuelle Legrix-Pagès dans un épisode #Univ4Good !
Prenons l’exemple de Byju’s pour illustrer cette accélération :
Byju’s, l’application d’apprentissage, est une solution qui propose le tutorat d’élèves K12 et la prĂ©paration aux examens nationaux et internationaux.Â
Valorisée à 18 milliards de dollars, elle est l’une des EdTech pesant le plus sur le marché mondial. Elle revendique 32 millions d’utilisateurs en 2019. Son expansion vient aussi de ses nombreux rachats, comme celui de l’entreprise Aakash, l’un des plus grands instituts de coaching pour les étudiants en études supérieures. Elle a ainsi dépensé plus de 2 Mds $ en acquisition ces derniers mois. Elle s’apprête aujourd’hui à lever plus de 150 M$ auprès d’UBS group. Pour vous donner une idée, cette somme représente le total des capitaux investis dans les EdTech européennes en 2020.
De nombreuses EdTechs indiennes utilisent cette stratégie de levée de fonds. Cela leur permet d’aller plus vite, et de s’entourer d’experts pour développer leurs start-ups nationalement, mais surtout internationalement.
Mais dans la durée, ça donne quoi ? 🤔
Aujourd’hui, la question est celle de la situation économique du pays et des conséquences de cette bulle EdTech à long terme.
Le pays connaît un rebond économique. Après une forte baisse du pouvoir d’achat l’année dernière, l’Inde reprend son souffle et atteint un record de hausse du PIB (+23,3%) au 2e trimestre 2021, s’appuyant sur l’industrie manufacturière et la construction. Cela permet aux habitants d’investir davantage dans l’éducation.
Cependant, le pays fait encore face Ă diffĂ©rentes faiblesses structurelles, telle qu’une pauvretĂ© chronique et une forte inĂ©galitĂ© d’accès Ă l’éducation. Sur les 270 millions de jeunes estimĂ©s, 27% d’entre eux n’ont accès ni Ă l’Ă©ducation, ni Ă l’emploi. Pour la classe moyenne, le prix d’accès aux nouvelles technologies peut reprĂ©senter des sommes importantes, et la fracture numĂ©rique se creuse. Certaines EdTech dĂ©plorent une infidĂ©litĂ© client, liĂ©e Ă des coĂ»ts trop Ă©levĂ©s.
Néanmoins la course au diplôme est lancée, et à l’instar de la Chine, les parents investissent le plus possible pour que leurs enfants réussissent. Ils n’hésitent pas à s’endetter, et même à déménager vers les grandes villes pour assurer un avenir à leurs enfants et pour que ceux-ci passent l’étape sélective des études supérieures. Aujourd’hui, l’enseignement supérieur compte plus de 35 millions d’étudiants. Arrivés sur le marché du travail, ceux-ci font face à une nouvelle difficulté : la crise de l’employabilité. L’évolution massive des méthodes pédagogiques et des solutions d’apprentissages numériques a créé un fossé entre les attentes des jeunes et la réalité du marché.
L’Inde va-t-elle connaître le même sort que la Chine ?
Durant l’année 2021, le marché EdTech chinois a fait face à des restrictions strictes quant à son activité. L’évolution des EdTech creusait de manière trop importante les inégalités entre les élèves, et créait une pression supplémentaire sur les enfants que les parents inscrivent massivement à des cours en ligne le soir, le week-end et durant les vacances scolaires. Le gouvernement a alors décidé de freiner cet engouement en interdisant les cours du soir et du weekend, mais aussi en faisant passer les EdTech du K12 en association à but non-lucratif. Ces décisions ont eu de grosses conséquences sur le marché chinois.
Si ces restrictions pourraient servir le développement des EdTechs indiennes, le pays ne va-t-il pas faire face aux mêmes problèmes ?
La crise des EdTechs en Chine peut avoir un impact positif sur le marché indien. Les deux pays se basant sur un financement par levée de fond, la perte de valeur des EdTech chinoises orientera peut-être les investissements sur celui de l’Inde.
Pourtant le pays pourrait se retrouver dans la mĂŞme situation de crise, victime d’un Ă©cart trop important entre la croissance de ce marchĂ© et la rĂ©alitĂ© du pays. Mais Ă la diffĂ©rence de la Chine, le rapport Ă l’éducation n’est pas le mĂŞme. En Chine, les familles visent l’excellence, quitte Ă Ă©puiser leurs enfants sous les contraintes d’apprentissage. En prenant ces restrictions, le gouvernement a freinĂ© une nouvelle lubie, dangereuse pour la santĂ© mentale de la jeunesse chinoise. En Inde, mĂŞme si les tendances Ă©voluent, le problème majeur reste l’inaccessibilitĂ© Ă l’éducation et Ă l’emploi. La prioritĂ© est pour beaucoup de pouvoir se nourrir, mĂŞme si cela nĂ©cessite d’envoyer les enfants travailler très jeune.
Aussi, les décisions gouvernementales ne se prennent pas de la même manière. Dans le plus grand pays démocratique, décider du sort d’un marché passe par de nombreuses mains, et le pays s’accorde à donner de l’importance à l’enseignement.
Enfin, dans l’éducation indienne, le tutorat est une pratique courante. Elle est encore réalisée de manière physique dans des centres dédiés, mais retirer l’accès à des ressources de tutorats en ligne serait aller à l’encontre de l’objectif d’égalité, de droit d’exercer ou de commercer garanti par le gouvernement indien.
Afin de profiter des bĂ©nĂ©fices de cette bulle EdTech, l’Inde doit rĂ©ussir Ă rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s d’accès Ă l’éducation, en mettant Ă disposition davantage de ressources pĂ©dagogiques mais aussi rĂ©ussir Ă suivre les Ă©tudiants diplĂ´mĂ©s, dĂ©barquant sur un marchĂ© du travail encore peu attrayant ! Des enjeux difficiles, auxquels le numĂ©rique, s’il est maĂ®trisĂ©, peut en partie rĂ©pondre.