Si Facebook est devenu Meta, c’est peut-être pour fuir la réalité d’un déclin annoncé de l’empire dirigé par Mark Zuckerberg et pour anticiper la noirceur de notre futur terrestre. Autant partir ailleurs, évoque une sorte de sauve qui peut des temps modernes. Pourrions-nous réussir dans le virtuel alors que nous échouons pour l’instant à concilier nos besoins humains avec les capacités de la planète ? Faut-il imaginer un monde virtuel merveilleux, pour échapper à celui qui nous héberge et dans lequel nous ne sommes ni heureux, ni épanouis ?
A en croire les différentes prises de paroles des représentants de ce grand réseau social peu à peu délaissé, il y a une opportunité incroyable de nouveaux métiers qui se présentent à celles et ceux qui adopteront le metavers dès aujourd’hui. Commentant le partenariat noué avec l’école Simplon, Laurent Solly, VP Europe du Sud de Meta, précisait il y a peu : « Nous souhaitons participer à la création d’un metavers collectif, en créant des emplois durables pour l’ensemble de l’écosystème numérique. » Ainsi il serait urgent de former la nouvelle génération au metavers, afin d’y construire de nouveaux espaces, qui ne tarderont pas à devenir publicitaires (eux aussi).
Mais avant d’en venir à l’impact sur le monde de l’éducation, qu’est-ce que le metavers ou metaverse ?
« Le métaverse est un univers virtuel fictif qui permet aux individus d’interagir en trois dimensions dans des espaces partagés. C’est une sorte d’Internet du futur, où l’on ne surfe plus en ligne en deux dimensions via des navigateurs, mais en 3D, à l’aide d’avatars et de casques de réalité virtuelle. » Voilà une définition qui rassemble tous les acteurs actuels de cet « univers virtuel » dans lequel ils tentent de nous vendre une île ou des bijoux dans leur nouvelle boutique virtuelle. « Avec l’évolution des technologies du web 3.0, nous sommes convaincus que les boutiques virtuelles remplaceront les sites e-commerces classiques mais aussi permettront de recréer un lien de proximité entre la marque et le client » annonce Hugo Acket, dirigeant de Lucky One.
Une fois posé le constat que pour l’instant le metavers est avant tout une transposition en 3D de ce que le web nous propose depuis 30 ans, quels usages nouveaux pourraient avoir un impact sur notre système éducatif ?
La question de la nouveauté effective de ces mondes virtuels se pose en préambule. Or comme le déclare Olivier Lamirault, Directeur innovation & technologies éducatives à l’EM Normandie : « À l’EM Normandie, nous avons créé des cours de création d’entreprise et d’apprentissage de l’anglais sur Second Life il y a déjà quinze ans ! Les étudiants pouvaient se retrouver sur des petites îles dans ce monde virtuel et apprendre dans un univers décalé… ». Pour diverses raisons, l’expérience d’il y a 15 ans n’a pas duré. Aujourd’hui, l’arrivée de la 5G, la mise au point des casques de réalité virtuelle, l’équipement moyen de l’étudiant, semblent mieux adaptés aux ressources nécessaires à la vie virtuelle.
Le metavers sera-t-il plus à même de séduire et d’accueillir les étudiants de demain ? Quels seraient les avantages concrets à vivre l’expérience d’apprentissage dans un univers virtuel ?
La flexibilité et la capacité à vivre des expériences immersives d’apprentissage semblent les arguments les plus souvent évoqués par ceux qui espèrent cette révolution. Concernant la flexibilité, on doit comprendre que le parcours de chaque étudiant sera entièrement personnalisé, déterminé par l’étudiant lui-même (ou plutôt son avatar). Ainsi dans l’université virtuelle, il choisira son parcours, ses cours, et pourquoi pas, ses horaires, ses professeurs et se baladera à son aise d’une salle à l’autre, sans contrainte de temps. Anne-Charlotte Monneret, déléguée générale d’EdTech France, confirme : « dans le metavers, l’étudiant bénéficiera d’un parcours personnalisé pour l’aider à se projeter dans son futur métier en fonction de ce qu’il est et de ce qu’il a envie de faire ». Sans doute s’agit-il de lui signifier ici qu’il pourra découvrir, choisir son futur parmi des milliers de choix offerts. Une infinité de futurs seront exposés devant lui, à portée de clic, pour peu qu’il trouve son chemin.
L’autre avantage mis en avant est la possibilité dans un monde virtuel en réalité augmentée de ressentir les mouvements, les interactions avec les objets ou les personnes. Ainsi l’on peut déjà essayer de réparer une voiture ou de planter des carottes dans le metavers, sans qu’aucun faux mouvement n’ait de conséquence. S’entrainer à certains gestes, mais aussi à dialoguer, à pitcher devant une assemblée, tout est réalisable et ouvre ainsi des perspectives nouvelles aux enseignants. Meta a déjà lancé une application proposant un bureau virtuel, permettant à chaque membre d’une société de participer à des réunions, de s’isoler dans son bureau personnel, d’aller à la salle de sport ou de partager un café sur la terrasse. Autant d’expériences à vivre virtuellement, sans sortir de chez soi.
Comment les universités du monde entier se sont-elles emparées de ces nouveaux mondes ?
Plusieurs exemples méritent d’être mis en avant ici, à commencer par ceux de Université Paris Cité et des Arts et Métiers. Pour la santé, Université Paris Cité, intègre directement la « compétence metavers » dans le programme de formation continue délivrant un diplôme d’université dont l’objectif sera de : « fournir les moyens (connaissances et compétences) pour analyser, créer et accompagner le développement d’un projet de metavers en santé dans son domaine professionnel (médical ou autre) ». Du coté des Arts et Métiers, institution reconnue pour la formation aux métiers de l’industrie, le projet JENII est fondé sur les environnements immersifs et collaboratifs bâtis autour de jumeaux numériques de systèmes industriels réels. Largement doté à hauteur de 9,5 millions d’euros lors de l’appel à projet DemoES, ce projet montre l’ambition de certains acteurs majeurs pour travailler dans des mondes virtuels et en tirer tous les bénéfices pédagogiques. « JENII permet une interaction avec le réel industriel au travers d’un casque de réalité virtuelle » explique Xavier Kestelyn, directeur général adjoint d’Arts et Métiers, en charge des formations. « Dans sa version optimisée, le jumeau numérique développé dans le cadre du projet offrira une représentation en 3D réaliste sur le plan visuel, exacte sur le plan physique et synchrone sur le plan fonctionnel. La mise en situation sera donc similaire à la réalité. »
Alors tout sera-t-il possible dans ses nouveaux mondes ? Les étudiants ne vivront-ils plus que dans la virtualité ? Ce n’est pas l’avis du DGA des Arts et Métiers qui pointe la complémentarité et même l’hybridation des deux mondes : « Outre l’accès à des environnements complexes et rares, manipuler virtuellement des équipements coûteux et dangereux permet d’autres approches pédagogiques, en étant moins craintif » souligne Xavier Kestelyn. « Néanmoins, tout ne peut pas être enseigné dans un environnement virtuel. Nous travaillons à un modèle de formation hybride qui pourra être déployé dans d’autres établissements. »
Par ailleurs, la Fondation UNIT travaille sur le développement d’un projet metavers. UNIT a donc entamé des discussions avec Digital Universities pour bénéficier d’un accès à métaKWARK pour cette expérimentation. De son côté, Nantes Université organisera les premières rencontres nationales sur le thème : « apprendre demain avec les technologies immersives », le jeudi 15 septembre 2022. Un dynamisme toujours aussi puissant anime ainsi le monde universitaire français.
Qu’en est-il dans d’autres pays du globe ?
L’université de Hong-Kong se lance, elle aussi dans les metavers. Son objectif principal est de permettre aux étudiants du campus de Guangzhou de vivre la même expérience d’apprentissage que leurs camarades du campus hongkongais. Plongé dans la virtualité, munis de leur casque, ils seront assis les uns à côté des autres et seront capables de dialoguer, bien que physiquement distants.
Aux Etats-Unis, un projet d’envergure réunit une dizaine d’universités telles que celle de Virginie occidentale, du Maryland, du Dakota du Sud, ou encore l’École d’infirmières de l’Université du Kansas, du Nouveau-Mexique. Baptisé « Metaversités », ce projet est porté par l’entreprise de réalité virtuelle Engage en association avec VictoryXR, spécialiste des solutions de formation immersives. Là-bas aussi, les étudiants pourront assister à leurs cours et explorer une réplique numérique de leur campus avec d’autres étudiants en temps réel, sans avoir à quitter leur domicile. Des cours seront proposés sur une diversité de programmes couvrant l’anatomie humaine, l’histoire ou encore l’astronomie. Notons toutefois que Engage et VictoryXR sont financées par Meta.
Enfin, d’autres projets sont en plein développement comme à Tokyo ou au Canada.
Mais si l’on veut bien croire que nous pourrons tous apprendre autrement (comme le répète à loisir Mark Zuckerberg), on est obligé de constater que certains prennent le parti de plaire aux entreprises. La naissance opportuniste d’une école du metaverse va dans ce sens. « Nous faisons un pari, un coup de poker, car nous sommes persuadés que ça va décoller », clamait fièrement Ridouan Abagri, le 11 mars, lors de la présentation du Metaverse College qui ouvrira en octobre ses portes à La Défense (5). La tentation est grande d’utiliser ce nouveau monde pour mieux uniformiser les formations et rendre immédiatement opérationnels des exécutants prêts à travailler avec un casque vissé sur leur tête. Enfin, pour l’instant, car il semble que le casque, un objet cher et donc peu accessible, puisse rapidement disparaitre.
La merchandisation des compétences a déjà commencé dans le monde réel. Le risque d’une accélération hors de tout contrôle de l’économie de la connaissance est fort. Même si cela peut être une nouvelle manière de monétiser le savoir pédagogique des enseignants. Si l’on en croit cette analyse avancée par John Preston, professeur de sociologie à l’Université d’Essex en Angleterre, les professeurs deviendraient à terme « des créateurs d’expériences d’apprentissage » et les apprenants vogueraient d’université en université selon leurs thèmes de prédilection. Pour autant, le sociologue rappelle que le rôle de l’interaction humaine dans la transmission des savoirs demeure essentiel.
Allons-nous accepter un enseignement façonné par le géant mondial des réseaux sociaux et de l’exploitation de nos données personnelles ? La transmission du savoir est-elle sur le point d’échapper aux universités et aux enseignants-chercheurs ?
Si nous souhaitons tous améliorer la performance de nos systèmes éducatifs, il demeure essentiel d’en conserver la singularité et la qualité liée à une dimension culturelle propre à chaque nation. L’enseignement est un service public en France et doit le rester très majoritairement.