Organisé le 6 avril dernier par La Tribune, Tech for Future est un événement passionnant, rythmé par une série de conférences et conclu par la remise de prix à 10 start-ups finement sélectionnées. De nombreux débats se sont déroulés devant une audience attentive. Les enjeux majeurs ainsi abordés, de la souveraineté au financement en passant par l’inclusion et le respect du climat ont permis de comprendre que la Tech est partout et qu’elle est certainement salvatrice.
Pour lancer cette journée, le Ministre délégué à la transition numérique, Jean-Noël Barrot, a rappelé l’importance à la fois des réussites françaises nées de la première vague d’entreprises digitales comme Deezer, Blablacar, Doctolib, ou BackMarket, mais aussi le fort engagement du Président de la République, Emmanuel Macron, en faveur d’un soutien fort des Deep Tech françaises dans les mois et années à venir. Un plan initié en 2019 avec le concours de la BPI et qui prévoit la création de 500 nouvelles entreprises Deep Tech par an, tandis que Scale-Up Europe lancé par la France en 2021 est un programme visant à faire émerger des leaders technologiques européens. Certaines de nos entreprises ont d’ailleurs fait l’objet d’importantes levées de fonds comme Ledger, spécialisée dans la sécurisation des cryptomonnaies ou Pasqal qui développe l’ordinateur quantique, avec 100 millions d’euros chacune, précise le ministre.
Face à l’inquiétude d’un trou d’air dans le financement suite à l’affaire de la banque californienne SVB et au constat d’une baisse de 70% des montants levés au premier trimestre, Jean-Noël Barrot, se veut positif et résolument confiant pour un rebond à venir. C’est tout de même aussi pour « amortir » les creux éventuels que les plans de soutien sont mis en place, nous rassure le ministre.
Mais la Tech n’est-elle pas rentrée dans l’ombre de l‘Intelligence Artificielle ?
Avant d’évoquer une éventuelle pause de la recherche ou même une crise de l’IA, il était important de rappeler que les gouvernements peuvent et doivent impulser et souligner les usages éthiques et au service de l’humanité des avancées technologiques. Ainsi, par exemple, lorsque l’IA permet d’économiser des milliers d’années de recherche pour modéliser quelques 200 millions de protéines, on comprend que les bénéfices pour la santé de l’Homme peuvent être énormes. Or ces avancées se font avec des modèles d’intelligence Artificielle très proches de ceux utilisés par OpenAI pour ChatGPT. Il ne s’agit pas de nier les risques liés à la technologie, il s’agit d’être acteur de la recherche en IA, comme le permet la stratégie IA lancée en 2021, avec plus d’un milliard d’euros investis par l’État.
Le ministre comme d’autres intervenants, le souligneront, nous avons d’excellents chercheurs et spécialistes de l’IA en France. Nous avons donc une carte à jouer dans cette course à l’innovation. Il est bon de rappeler qu’il y a et qu’il y aura des domaines interdits ou réglementés et surveillés pour l’usage de l’intelligence artificielle. Il ne s’agit ni d’interdire, ni de souscrire à un moratoire au développement des modèles d’intelligence artificielle. La CNIL peut en revanche contraindre OpenAI à respecter le RGPD, et notamment dans les données utilisées pour « entrainer » les modèles. Les données sont-elles suffisamment protégées comme le souhaite l’Europe ?
Revoir l’intervention de Jean-Noël Barrot :
Ce qui émerge des débats qui ont suivi cette intervention très officielle, c’est sans doute que nous sommes en train de « passer d’une économie de l’attention à une économie de l’intention », comme le déclare justement Marie Ekeland, fondatrice de 2050. Aborder les enjeux de la tech sous l’angle politique, c’est à la fois se poser la question de la souveraineté des données, et dire clairement aux publics qu’il y a des décisions à prendre ensemble : ce que nous souhaitons faire de l’Intelligence Artificielle, pour synthétiser les propos d’Asma Mhalla, Maître de conférences à Columbia, Sciences Po et Polytechnique et de Mounir Mahjoubi, ancien Secrétaire d’Etat au numérique et désormais entrepreneur.
On comprend alors que la « surveillance » de l’intention doit primer sur l’attraction forte qui excite les foules et les media à chaque saut technologique. Car c’est d’abord l’envie et la nécessité d’une transformation durable qui doit motiver l’adoption de la technologie. Le sensationnel effondrement de la banque SVB montre à quel point les réactions, les changements de comportement sont beaucoup plus vifs et instantanés que jamais auparavant. Il faut en conséquence avoir une vision politique de l’utilisation de l’IA tout en garantissant l’accessibilité à tous, autant que possible. Plutôt que de céder à l’injonction de faire une pause pour réguler, suggérée notamment par Elon Musk, il serait plus important de gagner quelques batailles à venir, en nous appuyant sur nos forces et notre vision politique comme le rappellent Mounir Mahjoubi, et Olivier SICHEL, Directeur de la Banque des Territoires.
Pour autant, l’économie de l’attention est bien présente et c’est d’abord les contenus qui nous sont distribués par les plateformes américaines ou chinoises qui posent la question de l’aliénation des audiences. L’intention est dans ces cas précis vivement critiquable. Comment réussir à s’extraire de cette emprise énorme qui manipule les populations et qui aspire leurs données personnelles nourrissant les modèles de l’Intelligence Artificielle ? Pouvons-nous accepter que la technologie, que les machines, fassent tout à notre place, y compris décider ce que nous devons lire, apprendre et savoir ? Lorsque les américains proposent une vision de smart city pour un pays d’Afrique, cela fait réagir les habitants qui ne veulent absolument pas devenir de stupides utilisateurs soumis au dictat de la technologie. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, qui montre bien l’exigence de sens, d’intention qui doit prévaloir sur le déploiement de la technologie.
Ce débat lancé sur l’intention est repris dans les autres interventions de la journée, qu’il s’agisse de Sylvie Jehanno, la PDG de Dalkia venue parler de décarbonation, de Jean-Marie Messier lorsqu’il évoque le paradoxe de la paresse ultime que peut engendrer l’usage de ChatGPT au risque de perdre le sens de l’apprentissage, ou encore de Gilles Babinet, qui invoque Schumpeter pour rappeler que toute transition économique a pour conséquence une destruction massive d’emplois avant d’être une opportunité de renouveau.
Il y a ainsi un mix émotionnel qui s’empare de la salle, passant du sombre à l’éclaircie au fil des interventions engagées des uns et des autres. Pourtant l’idée de cette journée est bien de souligner et de féliciter les initiatives porteuses d’espoir des nouvelles entreprises de la Tech en France. Devons-nous comprendre que leurs intentions positives sont notre seule porte de sortie des crises et du chaos que nous traversons depuis ces trois dernières années ? Est-ce rassurant de constater que pendant ces temps difficiles, des esprits brillants continuent de créer, d’innover et d’imaginer un avenir durable et responsable ?
Assurément ! Voir sur la scène les meilleurs candidats choisis parmi les centaines de projets remarquables est vivifiant. Un spectacle qui met dans la lumière les vrais entrepreneurs. Celles et ceux qui osent imaginer d’autres solutions, de l’énergie née de la rencontre de l’eau salée des océans avec l’eau douce des fleuves et rivières, de nouveaux outils pour permettre aux enfants souffrant de troubles comme la dyslexie ou l’autisme, par exemple, de suivre un apprentissage normal, et pourquoi pas l’utopie devenue réalité d’un atelier de transformation laitière entièrement automatisée, installé directement dans la ferme. Energie, santé, éducation, alimentation et économie locale, les projets couvrent tous nos besoins les plus fondamentaux et peuvent avoir un impact important sur notre vie, en respectant la planète.
Retrouvez le palmarès complet de la soirée Tech for Future ici :
Vous découvrirez à la fois les 10 lauréats mais aussi de très nombreux nominés pour cette édition 2023.
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