Le Sommet pour l’action sur l’IA a été le théâtre d’annonces d’investissements considérables dans le domaine de l’intelligence artificielle, tant en France qu’au niveau européen. L’objectif principal de ces investissements est de rivaliser avec le plan Stargate des États-Unis, un projet ambitieux doté d’un budget de 500 milliards de dollars sur quatre ans, annoncé par Donald Trump, nouveau président élu en novembre 2024.

Ainsi, des investissements massifs ont été annoncés par la France qui prévoit d’investir 109 milliards d’euros, comme par l’Europe qui s’engage à hauteur de 200 milliards d’euros pour soutenir le développement de l’IA sur le continent. Mais si l’essentiel de l’argent public est destiné aux infrastructures et notamment aux gigantesques data center devenus indispensables, les start-up françaises dépendent en premier lieu de l’investissement privé.

Au-delà des investissements, ce Sommet a été l’occasion du lancement des « 35 défis pour l’IA » labellisés par le gouvernement français (SGPI) dont celui baptisé « l’IA au service de la réussite éducative » porté par EdTech France et les universités lauréates de l’AMI DemoES. Nous vous en parlons plus longuement, plus loin dans cet article.

Alors que France Digitale révèle dans son dernier « mapping » que 751 start-ups se consacrent à l’Intelligence Artificielle, et qu’elles ont levé quelques 13 milliards d’euros depuis leur création, nous avons voulu recentrer notre intérêt sur le domaine de l’éducation. Car, outre le Grand Palais qui accueillait cet AI Summit, plusieurs conférences et tables rondes étaient organisées par nos plus grandes écoles, à Normale Sup’ (ENS), ou à l’Institut Polytechnique de Paris (IPP) par exemple, montrant tout l’intérêt que nos établissements d’enseignement supérieur portent au sujet.

Les défis que l’IA pose à notre système éducatif sont-ils identiques à ceux auxquels l’Europe de l’IA doit faire face ?

S’il convient d’évoquer prioritairement les difficultés d’accès à la puissance de calcul, de recrutement et de consommation énergétique, ce sont bien les données qui posent le plus grand problème, tant leur volume est considérable et pour autant indispensable à la fiabilisation des résultats. Tout le monde s’accorde sur ces points clés qu’il est urgent d’adresser, si nous devons résister à la puissance des États-Unis et de la Chine, dont l’émergence d’un DeepSeek à bas prix a fait son effet, tout juste avant l’ouverture de l’événement de Paris. L’enjeu principal demeure d’améliorer l’accès aux données, dans un cadre éthique et sécurisé, afin de permettre aux systèmes d’IA de s’entraîner sur des données riches et pertinentes.

Qu’en est-il dans l’écosystème de l’éducation et des Edtech ?

Deux événements portés par nos grandes écoles scientifiques ont mis en évidence l’immense intérêt suscité par l’IA au sein des communautés de chercheurs et d’enseignants. Très orientée sur la recherche, la conférence de l’IPP visait à afficher la position importante de la France dans la recherche et l’innovation en matière d’IA. Soutenue par Hi ! PARIS Cluster 2030, une initiative cofondée par IP Paris, HEC Paris, l’INRIA et le CNRS, elle encourageait et valorisait ainsi les collaborations entre le monde universitaire, l’industrie et les institutions publiques, en mettant en avant les efforts de recherche français à travers l’INRIA, le CNRS et les clusters d’IA émergents.

Pendant deux jours, les 6 et 7 février, les intervenants exploraient les transformations induites par l’intelligence artificielle sur la science et la société. Des experts de divers domaines étaient conviés à discuter des tendances émergentes, des défis éthiques, et des collaborations interdisciplinaires. L’objectif principal étant de promouvoir une approche responsable et équitable de l’intégration de l’IA, en soulignant l’importance des partenariats et de l’innovation dans ce domaine.

Parallèlement, l’opportunité était offerte à quelques-uns des représentants de ce domaine d’apporter points de vue et éclairages sur les nouveautés développées et mises en œuvre, tant pour les apprenants que pour les enseignants, lors d’une table ronde organisée à l’ENS dans le cadre du défi IA au service de la réussite éducative.

Là encore, les thèmes abordés ont permis de souligner l’implication des acteurs de la EdTech française. Les modératrices de cette table ronde, Orianne Ledroit, Déléguée Générale de Edtech France et Lucie Jacquet-Malo ont invité les intervenants à partager leur vision tant sur les innovations pédagogiques et les transformations du métier d’enseignant, que sur les sujets des défis éthiques, de la souveraineté et du cadre de confiance, avant de conclure sur l’avenir et les perspectives d’avenir pour l’éducation.

Quelles sont les grandes idées que ce Sommet de l’IA nous a proposées lors des différents événements ?

D’abord, l’idée que l’IA permet d’adapter les contenus et les activités aux besoins spécifiques de chaque élève, en tenant compte de son rythme d’apprentissage, de ses forces et de ses faiblesses. Elle contribue directement à la personnalisation de l’apprentissage, une quête séculaire pour l’enseignant. Par exemple, on pourra se féliciter des progrès dans l’inclusion des élèves ou étudiants qui sont permis par des outils et des ressources adaptés. C’est le propos de Bertrand Monthubert, fondateur de Atypie-Friendly , qui explique les enjeux de l’inclusion :

« on rend l’enseignement supérieur plus inclusif par beaucoup de choses et d’abord en formant évidemment les gens sur ce que sont les troubles du neuro-développement. Il s’agit de former les enseignants, les personnels des établissements et les autres étudiants aussi pour qu’ils comprennent de quelles sont les interactions qui sont possibles. Mais dans notre travail, nous nous sommes rendus compte assez rapidement de la chose suivante, c’est qu’au fond, la manière très traditionnelle qu’on a d’enseigner, n’est pas très inclusive. D’ailleurs, si elle l’était, on n’aurait pas eu besoin d’inventer l’école inclusive. Au passage, nous sommes aujourd’hui le 11 février 2025. Il y a 20 ans, jour pour jour, une loi extrêmement importante a été promulguée : la loi sur le handicap qui marquait justement, d’une certaine manière, la naissance de l’école inclusive. »

Ce que l’IA permet en la matière est déjà très impressionnant. C’est pour les enseignants à la fois un sujet sensible et un axe de progrès, l’IA peut prendre en charge certaines tâches chronophages. C’est déjà le cas pour la correction de copies ou la création de supports de cours, qui libèrent ainsi du temps pour les enseignants.

Enfin, et c’est sans doute l’apport le plus contesté, l’IA peut aider au développement de l’esprit critique.  Car, en effet, l’IA peut encourager les élèves à poser des questions, à analyser les informations et à développer leur propre jugement, plutôt que de simplement mémoriser des réponses. On évoluerait alors d’une pédagogie axée sur les réponses, à une pédagogie privilégiant le foisonnement des questions.

L’un des thèmes majeurs de ce Sommet reste lié aux défis éthiques et à ceux de la souveraineté. Force est de constater que les questions sont bien plus nombreuses que les réponses.

Cédric O, ancien Ministre chargé du numérique, co-fondateur de Mistral AI, aborde ainsi les questions que tous se posent :

« il faut à la fois garantir la protection des données personnelles des élèves, lutter contre les biais algorithmiques et veiller à ce que l’IA ne devienne pas un outil de surveillance ou de discrimination. Car au-delà de la question de la souveraineté française qui me semble absolument décisive dans le monde qui vient, je pense que soutenir la diversité est absolument essentiel. Nous devons réfléchir à ce que doit être le corpus de fonctionnement, les modalités de fonctionnement de l’IA générative qui sera utilisée par l’École Normale Supérieure ou par tel ou tel professeur de l’École Normale Supérieure. Et un des éléments que nous défendons, c’est une approche de l’open source, c’est-à-dire la capacité des gens à réutiliser et à ré-entraîner les modèles sur leur propre corpus, à maîtriser les modalités de fonctionnement de ces modèles dès lors qu’on a la compétence technique bien évidemment et à, d’une certaine manière, refaire ces outils qui nous semblent absolument indispensables dans le domaine de l’éducation. »

A ce propos, l’une des annonces phares de ce Sommet est le partenariat signé entre de nombreuses universités et Mistral AI, un partenariat initié par EdTech France et qui est totalement ouvert comme le rappelle Lucie Jacquet-Malo, copilote du défi « IA au service de la réussite éducative ». Ce partenariat consiste à « proposer un projet d’augmentation par l’IA de nos campus et de nos universités. L’idée est de bénéficier de la force de frappe de Mistral AI au service de l’expérience étudiante et de la réussite étudiante ».

Tout au long de ces journées centrées sur l’innovation, d’autres interventions nous ont projetés vers des perspectives d’avenir pour notre système éducatif. Les Robots ont écouté avec attention les propos de François Taddei, président du Learning Planet Institute, de Marie-Caroline Missir, directrice générale du réseau Canopé, ou encore de Erwan Paitel, IGESR et rapporteur au sein de la Commission sur l’intelligence artificielle. Ainsi, Marie-Caroline Missir témoigne de la forte volonté des enseignants du supérieur à se former aux technologies et outils issus de l’IA. Car si « le geste enseignant dans sa structure et dans son sens ne change pas », on est entré dans « une révolution cognitive de rapport au savoir extrêmement importante qui passionne les enseignants en réalité ».

Une révolution cognitive présentée par Erwan Paitel comme une opportunité de souligner l’importance de l’humain dans la transformation : « la pédagogie purement descendante est probablement arrivée à sa fin. Notamment parce que l’outil par l’intelligence artificielle permet de pré-digérer les connaissances. Il s’agit de proposer des modalités scénarisées qui permettent en fait un meilleur apprentissage ; ce qui nous renvoie probablement à faire évoluer les scénaris pédagogiques. Nous devrons remettre au cœur du système la pédagogie inversée, l’enseignement inversé. Il faudra utiliser l’IA et le numérique comme des comme des vecteurs de réhumanisation de ce qui se passe dans la classe. Ça, c’est absolument indispensable. »

De son côté, Olivier Wong, Vice-Président en charge du Numérique de l’université de Rennes, évoque le projet RagARenn, un système de RAG sous la forme d’un assistant conversationnel en langage naturel utilisant des technologies d’IA générative à partir de LLM choisis pour leur efficience, les plus “ouverts” possibles et disponibles sur Hugging Face. « Le concept de RAG (Retrieval-Augmented Generation) à travers la solution RagARenn, associe des sources de données maîtrisées à un modèle de langage pour obtenir des réponses factuellement exactes. Naturellement, cela souligne l’importance de maîtriser les données et d’assurer la confiance dans les requêtes faites à l’IA générative ».

Ce grand défi IA relevé par tous ces passionnés d’éducation et d’innovation a permis de concrétiser trois principaux apports de la communauté de l’enseignement supérieur :

  • le prototypage d’un RAG pour les établissements d’enseignement supérieur (RAGaRenn)
  • l’élaboration d’une charte des usages des IAgen dans l’enseignement supérieur
  • des temps de discussion et débat, au sein d’établissements ESR

S’ajoutent à cela, de nombreux exemples de projets cités pendant ces journées passionnantes, qui démontrent une nouvelle fois que le secteur EdTech est particulièrement dynamique en France, ce qui ne peut que réjouir les Robots !

En conclusion, nous retiendrons de ce sommet très médiatisé que :

  • La France est bien positionnée en Europe pour l’IA, mais doit faire face à une concurrence mondiale accrue.

  • L’IA transforme le domaine de l’éducation, avec des opportunités de personnalisation et de nouveaux défis pour les enseignants.

  • La collaboration interdisciplinaire et l’éthique sont essentielles pour un développement responsable de l’IA.

  • Le développement de l’esprit critique est un point central à ne pas négliger pour permettre l’adoption de ces technologies.

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