Depuis de nombreuses années, apprendre est devenu un enjeu social. Qu’il s’agisse des enfants comme des adultes, nous apprenons plus vite et mieux dans un contexte de partage et de connexion entre semblables. La dimension sociale est très intimement liée à notre faculté d’adaptation au monde qui nous entoure.
Apprendre, c’est bien sûr imiter et recevoir une validation de ses pairs. Pourtant, notre système éducatif est établi sur notre capacité à apprendre et comprendre un savoir formel, théorique, que nous devons enregistrer durablement et restituer sur commande.
Paradoxalement, nous vivons dans une ère numérique où chacun se retrouve devant son écran, et tente d’accéder à une quantité d’information gigantesque, quel que soit son domaine et son niveau de compétence. Ainsi livré à lui-même, et bientôt dialoguant avec Chat-GPT ou toute forme d’intelligence artificielle, l’humain, apprenant ayant quitté la petite enfance, est souvent seul face à la connaissance. Pourquoi ?
Si aujourd’hui près de 28% des entreprises ont recours à l’apprentissage social, cela illustre une certaine urgence à retrouver goût au partage de connaissances entre humains. C’est sans doute un signal fort d’une demande croissante des salariés pour se former avec les autres, et non plus seuls dans leur coin. Un constat inquiétant mais partagé par R. Kelly (Université de Carnegie-Mellon) qui a démontré que nous sommes dans un monde où les connaissances propres des collaborateurs ne résolvent plus que 10% de leur problématique professionnelle.
On pourrait se demander ce qu’ils ont appris à l’école !
Basé sur l’observation, l’imitation et la collaboration, l’apprentissage social constitue le cœur des travaux d’Albert Bandura, Professeur émérite à Stanford. Dans les années 70, Bandura théorise les avantages de cette « méthode d’apprentissage » bien avant l’essor d’internet et des technologies numériques. D’après lui, l’apprentissage social est différent des autres formes d’apprentissage en cela qu’il est possible d’apprendre un comportement sans avoir à l’expérimenter ni sans y être contraint par la restitution exigée par l’enseignant. En quelque sorte, on peut apprendre dans la simple observation des comportements d’autrui. Bandura explique que l’observation et l’imitation des comportements, des attitudes et des émotions des autres, sont la source d’un apprentissage puissant et fortement mémorisé. [1]
L’apprentissage par observation ne peut avoir lieu que si des processus cognitifs sont à l’œuvre. Ces facteurs mentaux interviennent dans le processus d’apprentissage pour déterminer si une nouvelle réponse est acquise. En conséquence, l’observation du comportement d’un modèle n’est pas automatique et ne déclenche pas toujours une imitation du modèle. En réalité, l’imitation est précédée d’une réflexion que l’on appelle le « processus de médiation ».
Bandura décrit ce processus en 4 étapes :
On le comprend, apprendre socialement, dépend pour beaucoup du « groupe » dans lequel évolue l’apprenant. Plus il est attentif aux autres, plus il est récompensé en cas d’imitation réussie, et plus il apprendra facilement. Copier sur son voisin n’est peut-être pas la plus mauvaise manière d’apprendre finalement !
Pour autant, faut-il promouvoir le social learning dans l’enseignement supérieur ?
Plusieurs voix convergent pour vanter les mérites de cet apprentissage social depuis l’avènement d’internet. En effet, le développement des outils numériques ont permis une mise en relation, un mode collaboratif nettement plus aisés et accessibles. Les apprenants ayant pris l’habitude de se connecter entre eux au sein de groupes sur les différents réseaux sociaux, la pratique du partage s’est considérablement développée. Plusieurs études et travaux de chercheurs montrent les effets bénéfiques de ces nouveaux usages.
Par exemple, les travaux de recherche de Richard J. Legers (Harvard Graduate School of Education) ont démontré que l’un des facteurs les plus importants de réussite dans l’enseignement supérieur est la capacité des étudiants à former et/ou à participer à des petits groupes d’études.
Aujourd’hui, la gamification connait un énorme succès dans tous les domaines de formation, notamment parce qu’elle implique un processus collectif d’apprentissage des situations. On joue ensemble, donc on apprend ensemble et chacun est tour à tour, un apprenant et un sachant. Plusieurs études menées auprès de manager montrent par ailleurs, que leur mémorisation des connaissances passe en premier lieu par l’expérience vécue (autour de 70%) puis par l’apprentissage auprès des pairs (20%) et enfin par un travail personnel sur des connaissances théoriques et/ou formelles. On pourrait être tenté de généraliser ce résultat dans le contexte de l’enseignement supérieur et imaginer que l’oubli des notions apprises en cours serait bien plus faible dans la cadre du social learning.
Ne serait-ce pas aller un peu vite en besogne ? Les étudiants ont-ils à ce point perdu leur capacité à mémoriser des cours appris sur les bancs de la fac ? Auraient-ils perdu la mémoire ?
Lorsque l’on s’interroge sur ce phénomène, il convient de mentionner la surprise que ressentent les étudiants de première année devant l’énormité des notions qu’ils doivent ingurgiter en peu de temps, comparativement au rythme du lycée. Comment enregistrer tout cela, est l’une de leurs principales angoisses. Depuis de nombreuses années, des travaux universitaires[2] insistent sur la nécessité de contextualiser les apprentissages afin d’aider les apprenants à leur trouver un sens, en les reliant les uns aux autres. Quel est l’objectif pédagogique de telle ou telle notion nouvelle ? Comment vient-elle enrichir et compléter mon savoir précédent ? Dois-je stocker cette information et si oui, à quoi est-elle reliée directement ?
Pour ce que nous savons du fonctionnement de notre mémoire, outre qu’elle est très impactée par l’expérience, elle organise le stockage en mettant en œuvre de deux systèmes : la mémoire à court terme (MCT) et la mémoire à long terme (MLT). L’acquisition de connaissances est alors considérée comme un transfert d’informations depuis la MCT vers la MLT. « L’oubli n’est pas un effacement des informations mais résulte davantage d’un échec à les récupérer dans le stock de la mémoire à long terme », expliquait déjà Alain Lieury dans un essai paru en 1991.
Dans un papier publié en 2021[3], Marie-Joëlle Ramage, Maître de Conférences à l’Université Paris-Saclay, proposait à ses confrères quelques conseils pour améliorer la mémorisation des étudiants. Rappelant que l’humain oublie plus de la moitié des détails d’une information dès la première heure passée (comme l’a montré le philosophe allemand Ebbinghaus en 1885), la chercheuse indique que le principal atout de l’enseignant est le feed-back. Exprimer clairement si l’étudiant a bien compris la notion apprise ou s’il a commis une erreur, lui apporter immédiatement le moyen de la corriger. C’est sur ce point précis que porte la capacité à mémoriser correctement. L’apprenant doit entendre du sachant qu’il a « bien appris ». On comprend alors le pouvoir du groupe dans cet exercice. Si chacun dans le groupe peut donner une appréciation, conforter ou infléchir la restitution de connaissances des autres, dans une volonté de partage et de compréhension, alors, les résultats et la mémorisation individuelle sont nettement augmentés.
Source : Adrien Moyaux — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=71582683
Dans ce contexte, apprendre ensemble devient à la fois une expérience heureuse et fructueuse.
Le social learning met en avant les bienfaits de ce que l’humain pratique depuis son origine : à plusieurs on va plus loin, vers la connaissance !
Vous voulez en apprendre plus sur l’évaluation par les pairs ? (Re)découvrez l’interview de Ludovic Charbonnel, co-fondateur de ChallengeMe : https://www.simoneetlesrobots.com/challengeme-rencontre-avec-son-co-fondateur-ludovic-charbonnel/