Quand on regarde les courbes d’occurrence de recherche autour de ChatGPT sur les moteurs les plus employés, il est clair que le phénomène ChatGPT est très nettement plus tendance que ne l’a été le Metavers. Tout le monde en parle, et beaucoup se sont amusés à le tester. Son utilisation en mode ouvert et accessible à tous ceux qui savent poser une question, la vitesse à laquelle l’outil fournit des réponses relativement pertinentes de prime abord, le rende aussi sympathique que les photos de chat sur les réseaux sociaux. Fort de cette adhésion sociale quasi universelle, Chat GPT devient l’outil numérique ayant séduit plus de 100 millions d’utilisateurs le plus rapidement dans l’histoire du numérique. Incroyable mais vrai !
Désormais, tout le monde en est convaincu, il sera plus facile, plus rapide, d’écrire un texte, une dissertation, une présentation argumentée, et nous n’évoquerons pas ici, les posts publiés sur les réseaux, ou les réponses données aux consommateurs par les services clients. Car l’outil a ceci de nouveau qu’il est conversationnel. On peut lui parler, l’interroger, le contredire, le défier, il a pratiquement réponse à tout. Pas tout à fait encore, mais les prochaines versions annoncées promettent déjà une qualité, une pertinence et une profondeur d’analyse plus de 1000 fois supérieure.
Alors, comment le monde de l’enseignement supérieur peut-il réagir face à ce qui semble être l’aube d’une nouvelle révolution pour les échanges écrits et, par ricochet, pour les évaluations ? Faut-il adopter la technologie et en tirer le meilleur ? Comment se prémunir d’une utilisation détournée ?
Les Robots de Simone sont partis enquêter sur leur terrain de jeu préféré : dans les universités et les établissements d’enseignement supérieur français. Rappelons en guise d’introduction que ChatGPT n’est que la partie visible de l’iceberg et que d’autres outils utilisant l’intelligence artificielle ont déjà envahi les domaines de la création artistique et de contenus, écrits comme visuels. Produire une vidéo mettant en scène un avatar en 3D doté d’une voix très humaine et capable de prononcer un discours plutôt bien écrit est désormais à la portée de tout un chacun ou presque. Il devient ainsi de plus en plus difficile de distinguer le vrai du faux, en matière d’information. Et c’est bien là un des problèmes auxquels notre société fait face.
Quel modèle se cache derrière ChatGPT ?
Comme le rappelle Colin de la Higuera dans son article pour la chaire Unesco Relia de l’Université de Nantes,
« son moteur s’appelle GPT-3 et est donc la 3ème itération d’un grand modèle de langage (Large Language Model, LLM). Bâti à partir d’un maximum de textes trouvés sur Internet (on estime cela à 570 Go ou 300 milliards de mots), le résultat est un modèle appelé réseau de neurones, qui peut être vu comme un gigantesque système d’équations. Ce système va être défini par 175 milliards de paramètres. Des heures de calcul sur des machines puissantes ont permis l’ajustement (on dit “entraînement”) de ces paramètres. »
Or la version 4 est déjà annoncée et devrait dépasser de beaucoup cette performance remarquable. L’auteur insiste à juste titre sur le fait que l’intelligence artificielle fait l’objet de nombreuses études et travaux au sein même des universités tandis que les enseignants chercheurs se forment, eux aussi, aux nouvelles compétences qu’elle induit.
Les étudiants, pour leur part, se sont immédiatement emparés des capacités inédites de ce nouveau type d’assistant. Est-ce surprenant ? Faut-il s’étonner qu’une génération née dans un monde digitalisé, soit la première à comprendre les bénéfices immédiats de la technologie ? Bien sûr, les plus malins ont compris que l’assistant conversationnel pouvait être sollicité à tout moment, pour tout type de production écrite, y compris dans une autre langue, et ce en quelques secondes. Alors les soupçons et les cas avérés de « tricherie » se sont multipliés, poussant même la très prestigieuse Sciences Po à brandir une interdiction d’usage, très vite requalifiée en charte à respecter par les étudiants, dans le cadre plus large de la lutte anti-plagiat.
Une déclaration officielle de Sergei Guriev, directeur de la formation et de la recherche, soulignant l’importance de l’enjeu posé par les nouvelles technologies en ces termes :
« ChatGPT est une innovation majeure qui participe de la transition numérique en cours dans nos sociétés. Nous plaçons, sous l’impulsion de Mathias Vicherat, cet enjeu au cœur du projet pédagogique et du travail de recherche à Sciences Po. Il est essentiel pour un établissement soucieux de garantir la qualité et l’intégrité de ses formations et de ses diplômes d’encadrer l’utilisation de cet outil. »
Évidemment il sera bien difficile d’interdire. Nombreuses sont les voix pour appeler à la raison, et demander à l’ensemble des enseignants d’adapter à la fois leur pédagogie et les modèles d’évaluation. Il est urgent de prendre en compte les nouveaux usages, de travailler avec les étudiants à partir de ce que ChatGPT peut fournir comme éléments initiaux dans un travail qui devra être affiné, critiqué et enrichi par la vision personnelle et individuelle de chacun. S’appuyer sur un texte basique et commun, ne suffira pas à construire une dissertation. Il faudra aller plus loin.
« Nous devons nous assurer que notre système d’enseignement supérieur et de recherche est en phase avec les défis mondiaux tels que la lutte contre le changement climatique, la santé globale et, bien sûr, les technologies émergentes. Nous avons un grand défi devant nous, mais je suis convaincue que nous pouvons relever ce défi ensemble » déclarait Madame la Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau, en clôture de l’événement Think Education le 26 janvier dernier. Elle poursuivait encore quelques instants un discours que d’aucuns auraient qualifié de langue de bois, avant d’avouer qu’il avait été écrit par… ChatGPT ! Qui, à ce moment, aurait pu l’affirmer ? Comment ne pas comprendre que l’outil est tout à fait capable de tromper notre vigilance ?
Certains proposent de développer des solutions anti-fraude capables de détecter un texte produit par l’intelligence artificielle, dans la lignée des logiciels anti-plagiat qui ont vu le jour lorsque Wikipedia est devenu un contributeur un peu trop présent dans le monde étudiant. C’est le cas de Compilatio, dont le président Frédéric Agnès explique dans une interview donnée à Campus Matin, que tout en ne jugeant pas la qualité de la copie rendue par un étudiant, qu’actuellement « le logiciel rend un rapport d’analyse des similitudes. Il ne s’agit pas seulement de détecter les copiés-collés, mais aussi les reformulations lourdes (similitudes de sens et non de mots). Avec ChatGPT, il s’agira de scorer la probabilité d’usage de l’intelligence artificielle. ». Mais Frédéric Agnès en convient, il y a fort à parier qu’à ce jeu du chat et de la souris, le chat aura le plus souvent un ou plusieurs coups d’avance.
Pourtant aux Etats-Unis, une équipe de chercheurs de l’Université de Stanford annonce la mise au point d’un système de détection, baptisé DetectGPT, destiné aux enseignants du supérieur. A l’Université de Princeton, c’est un étudiant qui a développé un outil nommé GPTZeroX, qui lui aussi permettrait détecter l’emploi de ChatGPT. Enfin, OpenAI, le créateur de ce prodige conversationnel a bien conscience de la nécessité de rassurer le monde de l’éducation. D’ailleurs son co-fondateur Sam Altman, a précisé ses limites dans un Tweet récent :
« ChatGPT est incroyablement limité, mais suffisamment bon dans certains domaines pour créer une fausse impression d’excellence. C’est une erreur de lui faire confiance pour quoi que ce soit d’important à l’heure actuelle ».
D’autres solutions sont possibles. C’est notamment ce que pense Antonio Casili, professeur à l’Institut Polytechnique de Paris et auteur de « En attendant les robots » (Seuil), pour qui ChatGPT n’est qu’une technologie de plus à intégrer au monde de l’éducation. A charge pour les enseignants de savoir en expliquer les bons usages, car « c’est une opportunité pour nous de voir comment les étudiants réalisent des tâches qu’on leur confie, de les faire travailler sur le fact-checking, et de vérifier si les références bibliographiques générées sont correctes ».
Un propos qui fait écho aux travaux de la chaire Unesco de l’Université de Nantes, qui met en évidence la vétusté des évaluations sommatives, et qui appellent les enseignants à faire preuve d’imagination afin de proposer autre chose aux étudiants de demain. Il faut souligner que la technologie a toujours été une source d’opportunités et d’évolution. Quelles sont les pistes de réflexion qui s’ouvrent actuellement dans l’enseignement supérieur ?
La principale conclusion des différents travaux en cours porte sur la nécessité de faire réfléchir et travailler autrement les étudiants. Avec l’aide d’un assistant nourri à l’intelligence artificielle, ChatGPT ou ses probables itérations, pourrait-on faire émerger d’autres compétences de l’étudiant ?
Par exemple, nous expose Colin de la Higuera, il pourrait s’agir de développer la faculté de reformuler, de repenser un énoncé de départ. L’occasion est belle, par ailleurs, de remettre l’accent sur l’importance du sens critique dans un monde envahi par les fausses nouvelles et les contenus de piètre qualité. Aller plus loin, entrer dans les détails, rechercher des sources fiables et scientifiques, sont des exigences que les enseignants peuvent formuler aujourd’hui. C’est une réelle chance de faire progresser la pédagogie.
Reste la question de l’équité, qui ne doit pas être négligée. En effet, l’accès à ces nouvelles technologies doit être garanti pour tous et toutes. Une formation tant du côté des enseignants qu’à destination des étudiants doit accompagner ces changements et l’apparition des nouveaux outils.
S’adapter est le propre de notre humanité. Les Robots de Simone en sont totalement convaincus !
Retrouvez les Robots sur leur page LinkedIn pour en apprendre plus sur l’enseignement supérieur et la EdTech !
Envie de découvrir d’autres articles sur l’enseignement supérieur et la EdTech ? Rendez-vous sur le Blog des Robots !