Les Robots ont interviewé Julie Philip et Laurent Fauré qui nous présentent le projet de Université de Montpellier Paul-Valéry , appelé Nexus, visant à intégrer les Humanités numériques dans les cursus de Licence.
Ce projet, financé par l’État, a pour objectif de former les étudiants aux usages critiques du numérique et de les sensibiliser aux questions d’éthique et de société. Il implique la collaboration interdisciplinaire d’enseignants-chercheurs, d’ingénieurs pédagogiques, et de professionnels externes, et s’appuie sur des ressources numériques accessibles au grand public.
Le projet se distingue par son approche pédagogique innovante, qui s’appuie sur des modules de formation en ligne, une plateforme d’apprentissage collaborative, et des expériences immersives en réalité virtuelle. L’équipe projet s’engage également à créer un espace physique dédié aux Humanités numériques, la Fabrique des Humanités, qui ouvrira en 2027.
Chronologie du projet
2018 :
L’Université de Montpellier Paul-Valéry (UMPV) obtient un financement du Programme d’Investissement d’Avenir (PIA) pour le projet Nexus.
Laurent Fauré et François Perea conçoivent le projet, y compris une Brique dédiée à l’IA, avec une vision « d’alphabétisation digitale, critique et citoyenne ».
Période 2018-2021 :
Début du projet Nexus et mise en place des Briques de formation.
Collaboration intense et pluridisciplinaire entre plus de 140 enseignants-chercheurs.
Mise en ligne du premier cours « Introduction aux Humanités Numériques » avec 40 enseignants impliqués.
2021 (Confinement) :
Le projet Nexus sert de ressource pour l’établissement face aux défis de l’enseignement à distance. Mise en évidence de l’importance du lien humain et de la réflexion pédagogique dans l’utilisation du numérique.
2023 :
Ouverture du cours « Intelligence Artificielle au Pluriel » anticipant l’essor des IA comme ChatGPT. Mise en place d’un comité de pilotage renforcé intégrant des acteurs du territoire.
2024 :
Réflexions engagées sur la pérennisation du projet après la fin du financement PIA en 2028.
Mise en place de scénarios de transition et de transfert des savoirs.
2027 :
Inauguration du bâtiment « La Fabrique des Humanités », vitrine du projet et lieu de rencontre avec les acteurs socio-économiques.
2028 et au-delà :
Poursuite du développement des Humanités numériques à l’UMPV.
Recherche de nouveaux financements pour étendre le projet aux cycles Master et Doctorat.
Multiplication des projets expérimentaux (réalité virtuelle, réalité augmentée) pour diffuser la culture des Humanités numériques auprès du grand public.
Entretien avec Julie Philip et Laurent Fauré
Quel est l’impact de Nexus sur les étudiants et leur implication ?
Le projet Nexus a eu un impact significatif sur les étudiants en les sensibilisant à l’importance du numérique dans les sciences humaines et en les encourageant à réfléchir de manière critique à son utilisation.
Avant tout, le projet Nexus propose un cursus en Humanités numériques, accessible à tous les étudiants de Licence. Ce programme, composé de « Briques » thématiques, aborde des sujets tels que les espaces digitaux, les littératies numériques et lesIntelligences artificielles, entre autres.
Le deuxième point clé du succès c’est une approche pédagogique pluridisciplinaire. L’enseignement est conçu par des équipes d’enseignants-chercheurs de différentes disciplines, favorisant ainsi les regards croisés et les échanges scientifiques de haut niveau.
Par ailleurs, dès le départ nous avons souhaité une accessibilité accrue. Ainsi le programme est 100 % en ligne, ce qui permet à un large public d’y accéder, y compris les étudiants qui ne pourraient pas suivre un enseignement en présentiel. De plus, une attention particulière a été portée à l’accessibilité numérique de la plateforme et des contenus pour les personnes en situation de handicap. Avec ce projet nous avons réussi à explorer de nouveaux formats pédagogiques, tels que les podcasts, les vidéos, les documentaires et les escape games, rendant l’apprentissage plus attractif et stimulant.
Enfin, il était important de créer ou de renforcer le lien avec le monde professionnel. C’est pourquoi nous avons voulu un projet ouvert sur le monde extérieur en collaborant avec des musées, des entreprises et des collectivités territoriales. Cette ouverture permet aux étudiants de se confronter aux réalités du numérique dans différents secteurs.
Au final, les étudiants ont exprimé leur satisfaction quant au programme, reconnaissant son utilité pour comprendre les enjeux du numérique et pour développer un regard critique sur leurs propres usages.
Quels sont les dispositifs mis en place par l’Université pour encourager l’implication des étudiants dans le projet ?
En premier lieu, il faut souligner que le programme est optionnel et donc totalement flexible selon les envies et les disponibilités de chacun. Cette flexibilité permet aux étudiants d’intégrer les Humanités numériques à leur parcours de formation selon leurs aspirations. Ainsi, par exemple, nous avons développé des modules d’auto-apprentissage, des exercices interactifs et des vidéos pour un apprentissage plus dynamique. Nous mettons également en place des systèmes de tutorat et de monitorat en ligne et en présentiel pour accompagner les étudiants dans leur apprentissage. Enfin, ce projet vise à encourager l’interaction entre étudiants grâce à des outils collaboratifs.
Comment le projet Nexus se distingue-t-il des initiatives comparables prises par d’autres universités ?
Rappelons d’abord qu’il s’agit d’une initiative qui dépasse le cadre de la simple formation en Humanités numériques. En effet, nous proposons une véritable réflexion sur la place du numérique dans la société et sur les moyens de le mettre au service d’une citoyenneté éclairée et critique.
- Une ambition d’alphabétisation numérique critique et citoyenne : Le projet vise à former tous les étudiants de Licence aux Humanités numériques, et non pas seulement ceux de certaines disciplines. L’objectif est de les rendre capables de comprendre les enjeux du numérique et de développer un regard critique sur ses usages.
- Une pluridisciplinarité profonde et inédite : Il ne s’agit pas simplement de juxtaposer des disciplines des sciences humaines et l’informatique. Il nous faut créer des contenus inédits en croisant les regards de chercheurs de différentes disciplines sur des thèmes communs, avec une intégration systématique du numérique dans la conception des modules.
- Un ancrage territorial fort : Il y a toujours eu cette volonté d’être ouvert sur la société et le territoire en collaborant avec des acteurs locaux tels que la métropole, le rectorat, la région et l’association pour l’emploi des cadres. Cette ouverture se traduit par des projets concrets, comme la conception d’expériences de réalité virtuelle pour les musées.
- Une ouverture au grand public : De la même façon, nous ne nous sommes pas limités à notre communauté universitaire. L’idée est de mettre en accès libre un quart de ces contenus de formation, permettant ainsi au grand public de se familiariser avec les Humanités numériques et de participer au débat sur les enjeux du numérique.
- Une forte dimension expérimentale : Le projet Nexus est un laboratoire d’innovation pédagogique, explorant de nouveaux formats d’apprentissage et de nouveaux modes d’écriture. C’est ce qui fédère les enseignants et les chercheurs depuis l’origine. Au total nous avons mobilisé plus de 140 enseignants-chercheurs et touché plus de 7000 étudiants de toutes les disciplines.
Ces caractéristiques témoignent de l’originalité et de l’ambition du projet Nexus. Il s’agit d’une initiative qui dépasse le cadre de la simple formation en Humanités numériques pour proposer une véritable réflexion sur la place du numérique dans la société et sur les moyens de le mettre au service d’une citoyenneté éclairée et critique. C’est en tout cas l’ambition que nous portons avec ce projet, qui nous vaut quelques échanges très intéressants avec d’autres universités qui travaillent également sur ce thème.
Quels sont les défis rencontrés et relevés par l’équipe du projet Nexus ?
La mise en œuvre du projet Nexus, aussi ambitieux et novateur soit-il, a rencontré plusieurs défis importants :
- La complexité de la pluridisciplinarité :
Créer un véritable dialogue interdisciplinaire entre des chercheurs de domaines aussi variés s’est avéré long et exigeant. La production des contenus de formation a nécessité de nombreuses réunions et échanges scientifiques de haut niveau pour parvenir à une réelle intégration des différentes perspectives. L’harmonisation des approches et des langages scientifiques a constitué un défi majeur, chaque discipline ayant ses propres méthodes et ses propres modes de pensée.
Le temps nécessaire à la création de contenus véritablement pluridisciplinaires a été largement sous-estimé. Par exemple, la Brique « Introduction aux Humanités numériques » a nécessité 2 ans et demi de travail pour seulement 36 heures de cours.
- L’adaptation à l’enseignement 100% en ligne :
Le choix d’un enseignement entièrement en ligne a été motivé par la volonté d’offrir une large accessibilité et de permettre la participation d’un grand nombre d’enseignants-chercheurs. Cependant, cela a posé des défis importants en matière de soutien aux apprenants et de maintien de leur motivation. C’est un sujet sur lequel nous sommes encore en train d’évaluer l’engagement de l’étudiant et de tester de différents dispositifs de tutorat/monitorat. L’équipe a dû travailler intensément sur l’accessibilité numérique de la plateforme et des contenus, un objectif complexe et en constante évolution.
- La réticence de certains enseignants-chercheurs :
L’ouverture des contenus au grand public et la collaboration multi-auteurs ont suscité des appréhensions chez certains enseignants-chercheurs, habitués à un mode de fonctionnement plus traditionnel.
La question de la légitimité à intervenir sur des sujets hors de leur champ disciplinaire a été soulevée, de même que celle de l’évaluation de leur travail pédagogique.
L’équipe Nexus a réussi à surmonter ces réticences en accompagnant les enseignants-chercheurs et en les impliquant activement dans la conception du projet.
- La communication et la vulgarisation des Humanités numériques :
Expliquer la nature et les objectifs du projet Nexus au grand public s’est avéré parfois difficile, le concept d’Humanités numériques étant encore relativement peu connu. L’équipe a dû faire preuve de pédagogie et d’inventivité pour rendre les Humanités numériques plus concrètes et accessibles, notamment à travers des projets comme l’atelier du parfumeur antique en réalité virtuelle.
Malgré ces difficultés, nous avons su faire preuve d’une grande détermination et d’une grande capacité d’adaptation pour mener à bien ce projet ambitieux. L’enthousiasme des participants et leur conviction profonde de l’importance des Humanités numériques ont été des moteurs essentiels de la réussite du projet.
Pouvez-vous nous présenter un exemple de réalisation ?
Le voyage olfactif dans l’atelier du parfumeur est un projet conçu dans le cadre d’un partenariat et dont la réalisation a été confiée par l’équipe Nexus à trois étudiants en Master « Arts plastiques, spécialisation jeu vidéo » de l’Université de Montpellier Paul-Valéry. Loup Francineau, Margaux Sottile et Sacha Alonso ont eu pour mission de reconstituer un atelier-boutique de parfumerie de l’époque romaine (Ier siècle de notre ère) et de proposer une visite virtuelle en 3D.
Ce projet est unique car il combine des connaissances de plusieurs disciplines telles que l’archéologie, l’histoire antique, l’histoire des techniques, la linguistique, la parfumerie et la technologie pour recréer une scène de vie antique grâce au numérique.
L’objectif de ce projet s’inscrit dans une démarche plus globale de médiation patrimoniale numérique, en lien avec une ambition pédagogique et scientifique. Il a été rendu possible grâce à un partenariat avec Diane Dusseaux, directrice du Site archéologique Lattara-musée Henri Prades, et Frédéric Servajean, directeur du LabEx ARCHIMEDE. L’atelier du parfumeur a été intégré à l’exposition « Senteurs célestes, arômes du passé. Parfums et aromates dans l’Antiquité méditerranéenne ».
Le projet vise à faire découvrir au public une réalité disparue en s’appuyant sur des données scientifiques et en utilisant des technologies immersives. Une recherche documentaire approfondie et la collaboration de plusieurs disciplines ont été nécessaires pour reconstituer l’atelier du parfumeur avec précision. Les étudiants ont modélisé en 3D l’atelier du parfumeur en s’inspirant des connaissances scientifiques sur l’époque romaine. Le choix des objets, leur forme et leur matière, le processus de fabrication des parfums, les vêtements, les gestes et le langage de l’artisan, les couleurs des murs et les détails techniques du pressoir à huile ont été soigneusement reconstitués.
L’expérience est enrichie par un dispositif de diffusion de parfums synchronisé avec la visite virtuelle. Une designer olfactive (de la société Nez’bulleuse) a recréé des odeurs de l’époque romaine en utilisant des sources historiques et des expérimentations scientifiques. Le casque de réalité virtuelle intègre ce dispositif olfactif grâce à la technologie de la start-up Olfy. L’atelier du parfumeur offre ainsi une expérience immersive et multisensorielle unique, permettant aux visiteurs de voyager dans le temps et de découvrir l’univers olfactif de l’Antiquité romaine.
Et demain ?
De nouvelles expérimentations et de pistes de travail sont à venir : construction de nouvelles Briques thématiques, réalisation de projets avec des partenaires externes, conception du FabLab Fabrique…
Il nous reste des étapes à franchir et des expériences à développer pour encore plus de trois ans. Nous sommes convaincus que Nexus continuera à inspirer et à mobiliser notre communauté au-delà du temps imparti.
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