EdTech en Amérique Centrale : le Mexique peut-il être le moteur de la transformation numérique de l’enseignement ?

Lorsqu’un pays connait une croissance ultra-rapide de sa jeunesse, sa priorité est naturellement l’accès à un niveau d’éducation compatible avec ses ambitions économiques. Former devient alors une vraie priorité nationale. Le Mexique, devenu la quinzième puissance économique mondiale, a vu sa population croître de 38 millions en 1963 à près de 130 millions d’habitants à l’heure actuelle. À l’époque, cette jeune démocratie a consacré près de 25% du budget de l’Etat au développement des structures et des ressources humaines nécessaires pour assurer l’éducation et la formation de sa jeunesse.

Si 60 ans plus tard, ce pourcentage est devenu très faible au regard de l’enjeu et de la présence du pays dans le plus grand marché de libre échange commercial au monde (le Mexique fait partie de l’USCMA – United States Canada Mexico Agreement qui est entré en vigueur en 2020 et qui prolonge la création de ce marché en 1994), les quelques 39 universités publiques du pays regroupent près de 60% des étudiants âgés de 18 à 23 ans. Ainsi, le pays compte près de 3 millions d’étudiants, soit 30% d’une classe d’âge qui entre dans l’enseignement supérieur, un indicateur témoignant du dynamisme d’une nation.

La population étudiante devrait continuer à croitre selon les prévisions de l’UNAM (Université Nationale Autonome de Mexico) qui estime que 50% de la prochaine génération connaitra un parcours d’études dans le supérieur. Ce qui entrainerait par ailleurs la formation de quelques 300 000 nouveaux enseignants pour les 10 prochaines années. À noter que sur le plan structurel, la plupart des universités mexicaines sont construites sur un modèle similaire au système français et 34 sur 39 sont gérées de manière autonome. Enfin, si près de 50% de la population mexicaine vit avec un revenu en-dessous du seuil de pauvreté, ce sont 300 000 étudiants qui accèdent au programme de bourses d’étude.

EdTech en Amérique centrale

Face à ces défis démographique et économique, il n’est pas surprenant que les EdTech connaissent un développement important et remarquable dans toute la zone Amérique Latine. D’abord parce que l’accès au numérique est finalement plus aisé que celui à l’université. 73% des mexicains habitant en zone urbaine ont un accès à internet (contre 40% dans les zones rurales). Et si 45% de celles et ceux qui n’étudient pas encore, souhaitent se diriger vers les cours en ligne en priorité, le défi de l’abandon est majeur comme l’indique Andrés Fleiz, directeur produit de BEDU, une startup d’enseignement mexicaine.

Alors comment les EdTech de la zone LATAM répondent-elles à ces défis ?

La majorité des acteurs ont choisi un modèle mixte, entre formations en ligne et centres ouverts au présentiel. Ainsi Talisis, Aprende Institute ou encore Bedu, proposent des parcours d’apprentissage via des plateformes digitales mais aussi en physique. Avec une croissance exponentielle de 40% dans la région latino-américaine, l’apprentissage en ligne a montré que la transformation de l’éducation ouvre de nouvelles voies qui mettent l’accent sur la nécessité d’un apprentissage personnalisé, d’une information actualisée, de l’utilisation d’outils numériques et de la préparation au monde réel du travail.

C’est pourquoi de nouveaux entrants connaissent des progressions fulgurantes sur le marché et attirent les investisseurs. Ainsi par exemple, Platzi qui promet que 70% de ses étudiants doublent leur salaire, tandis que 20% créent leur propre entreprise, comptent près de 2,5 millions d’étudiants en Amérique Latine et du Sud, autour de 800 formations axées tant sur les compétences du digital que sur les soft skills.

« Notre méthodologie a été créée pour aider les étudiants à s’épanouir grâce aux compétences technologiques acquises, aux compétences non techniques, aux langues mais leur permettre également de créer un réseau de pairs pour les aider à trouver un emploi le plus rapidement possible ou à créer leur entreprise. En outre, nous donnons aux étudiants les outils dont ils ont besoin et le soutien d’une communauté. Dans une région où les inégalités et le manque d’opportunités sont importants, comme en Amérique latine, cela est particulièrement pertinent. Chaque jour, nous voyons des étudiants augmenter leur salaire jusqu’à dix fois après avoir étudié chez Platzi pendant un an », explique Freddy Vega, PDG de Platzi, dans un communiqué de presse. La plateforme mexicaine vient par ailleurs de lever près de 60 millions de dollars pour poursuivre sa croissance.

D’autres acteurs investissent le marché mexicain de l’éducation, tant il est prometteur. C’est le cas de Slang, une société colombienne, qui se développe sur l’ensemble des pays hispanophiles, y compris les États-Unis. En effet, si son fondateur, Diego Villegas, est d’origine colombienne, le projet est issu de travaux de recherche effectués au MIT. Son ambition est de résoudre le problème de l’illettrisme anglophone qui pénalise durement les pays d’Amérique centrale et du sud dans leur développement économique et en particulier dans leurs échanges avec leurs voisins du Nord.

« C’est comme une nouvelle génération de EdTech, au sens où, jusqu’à présent, ces technologies étaient essentiellement un processus de numérisation de l’enseignement traditionnel. Cela ressemblait plus à la numérisation de livres ou de e-book, puis ils ont essayé d’y ajouter un peu de gamification. Aujourd’hui, la technologie de base de l’EdTech se développe avec de nouvelles infrastructures grâce à l’avènement du machine learning. Ainsi cette combinaison de technologies a vraiment permis à la nouvelle génération de EdTech, comme nous, de s’épanouir, et nous repensons entièrement la façon d’enseigner l’anglais avec une approche axée sur les données au lieu du programme traditionnel artisanal numérisé« , explique Diego Villegas.

Slang a finalisé récemment une levée de fonds de 14 millions de $ et poursuit son développement en direction des salariés des entreprises mais aussi d’autres publics apprenants au Mexique et depuis peu au Brésil.

Car si les universités restent essentielles à la mission éducative, certains publics qui n’ont pu y accéder, sont également en demande de formation tout au long de leurs parcours professionnels. Et le constat est là : une majorité des enseignements et des ressources pédagogiques accessibles en ligne sont en anglais. Ainsi déclare Diego Villegas, « nous croyons que l’anglais est en fait l’accès à la connaissance. Nous voulons éradiquer l’illettrisme professionnel. Et l’analphabétisme professionnel est le problème des professionnels qui n’ont pas un niveau d’anglais suffisant pour acquérir des connaissances en ligne, qui sont massives. C’est la réalité de la plupart des gens en Amérique latine ».

Néanmoins, l’espagnol demeure la troisième langue la plus parlée au monde, et si le Mexique représente la plus large communauté hispanophone, les États-Unis comptent aussi près de 20% de « latinos » constituant la première minorité culturelle du pays. C’est ainsi que Aprende Institute, une EdTech qui s’est déployée avec succès de la Colombie aux États-Unis, en passant par le Mexique, propose des formations en ligne pour les métiers de la restauration et de la gastronomie.

EdTech en Amérique centrale

La dimension sociale de l’engagement des EdTech au Mexique comme, plus largement, en Amérique Latine, est sans doute plus évidente, tant les pays de la zone LATAM sont dans l’urgence d’une réponse à tous les publics encore éloignés de la connaissance. Ainsi le fondateur de Bedu, Mois Cherem Arana, avait fondé auparavant Enova, une entreprise sociale qui conçoit, exploite et développe des technologies pour des centres d’apprentissage mixte dans les zones à faibles revenus du Mexique. Enova compte plus de 2 millions d’utilisateurs inscrits, des élèves de tous âges qui peuvent apprendre la technologie et les compétences de vie. Mois a d’ailleurs reçu 2 prestigieux prix pour récompenser ses initiatives : le prix Rising Star de la Harvard Kennedy School et le prix de l’entrepreneur social de l’année d’Ernst & Young.

Les EdTech sont-elles une solution pour combler certains retards pris par les manques de moyens ou d’investissements des États en fort développement ? Sont-elles le moteur d’une accélération de l’accès à la connaissance des populations les moins favorisées ? L’exemple du Mexique semble nous indiquer que les deux modèles cohabitent et se complètent efficacement pour le plus grand bénéfice des apprenants et de leurs futurs employeurs.

Qu’en pense Valentina Redondo, chargée de mission EdTech en Amérique Latine pour EdTech France ?

« D’abord, il faut souligner le dynamisme du marché des EdTech au LATAM et en particulier sous l’impulsion de Monterrey qui concentre les investissements dans le but de devenir la Sillicon Valley mexicaine. Cependant le Mexique est un très grand État fédéral avec des disparités fortes entre les différents états régionaux qu’il regroupe. Ainsi les états du sud sont les moins favorisés en termes de développement économique et l’accès au numérique via internet y est pour le moins aléatoire. Pendant cette crise sanitaire, les universités mexicaines, majoritairement sous financement privé, ont eu recours au distanciel, avec les difficultés qu’on imagine pour les étudiants. L’impact positif de cette situation de crise est à chercher dans l’émergence d’acteurs nouveaux que soutiennent des investisseurs principalement venus des États-Unis et du Canada. Une grande partie des efforts est d’ailleurs guidée par la demande très forte de techniciens et d’ingénieurs, émanant des grandes entreprises nord-américaines installées au nord du pays. Mais désormais, tous les niveaux du système éducatif mexicain sont en demande de solutions numériques, et les choses avancent vite. »

Ainsi certaines start-ups locales visent à combler le déficit de lien social et la réelle difficulté pour les étudiants à accéder et à valider les compétences nécessaires à leur insertion dans le monde moderne. Plateformes digitales en même temps que réseau social, c’est l’exemple de Territorium qui propose également des accès préférentiels aux cours d’universités américaines comme Harvard. Cette plateforme affiche des contenus d’apprentissage adaptés au niveau de chaque utilisateur et aussi des espaces collaboratifs pour faciliter le travail des enseignants.

Autre exemple du dynamisme local, MisionAdmision aide les étudiants à se préparer à être admis à l’université. La plateforme offre un accès à du matériel et des cours de préparation en ligne. Elle possède un large référentiel de vidéos et d’exercices et suit les progrès des étudiants tout en leur indiquant leur position par rapport aux autres.

Enfin, on peut citer le cas de Collective Academy qui se présente comme une véritable université en ligne. Alternative digitale aux universités des grandes villes, son concept repose sur la connexion directe entre des professionnels aguerris du monde des affaires et de la technologie, et les apprenants, futurs décideurs du pays. Son slogan « la universidad que esta re-evolucionando la educacion para lideres en Latinoamerica », confirme l’ambition des acteurs de la EdTech au Mexique et leur vision d’un monde dans lequel tout évolue plus vite via le digital.

Nous reviendrons dans un prochain article sur les liens forts qui se sont établis entre le modèle de l’enseignement supérieur français et le système éducatif du Mexique. La forte influence que notre culture exerce sur la zone LATAM favorise certainement l’entrée sur ce nouveau territoire pour les EdTech françaises.

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