Ce ne sont pas les discours qui manquent. Ni même les exemples de femmes remarquables à la réussite éclatante que l’on ne verrait pas assez dans les media. On pense à Aurélie Jean (Scientifique et entrepreneure), à Céline Lazorthes (fondatrice de Resilience Care, de Leetchi et de MangoPay), à Roxanne Varza (directrice @Station F), et à tant d’autres. Ce ne sont pas les initiatives que les institutions ou le gouvernement, les établissements d’enseignement supérieur et les entreprises, imaginent pour créer des parcours et des conditions d’accueil favorables aux femmes, qui manquent. Le mal est plus profond. La distorsion s’accentue. Les chiffres en attestent quel que soit l’angle que l’on retient.

Les femmes ont une toute petite place dans la tech française !

Comme le souligne Laurent Champaney, directeur général de l’École Nationale Supérieure des Arts et Métiers, dans une tribune pour Les Echos, « le constat est implacable : le taux de femmes en emploi d’ingénieur reste globalement inférieur à 10 % en France en 2020 et les étudiantes sont moins de 30 % en écoles d’ingénieur. » Par ailleurs, on lit avec stupéfaction que 88% des levées de fonds dans la tech sont réalisées par des équipes 100% masculines et moins de 1% par des équipes entièrement féminines. Si l’on peut trouver des raisons d’espérer une amélioration dans l’augmentation du pourcentage de femmes dans les métiers du numérique, passant de 12 à 17%, entre 2018 et 2021, il reste une longue route à parcourir.

Dans une étude Mc Kinsey publiée en janvier 2023, on apprend que les femmes n’occupent que 22% des emplois de la tech en Europe. Ce qui confirme que la France n’est pas au rendez-vous de la mixité et fait moins bien que certains de ses voisins. Vivons-nous encore dans une société patriarcale ? Pourtant Mc Kinsey prévoit, selon différents scenarii, que le manque de main d’œuvre sera à son paroxysme d’ici 2027 avec entre 1,4 et 3,9 millions d’emplois à pourvoir dans les secteurs de la technologie de l’Europe des 27.

Figure 1 : La participation des femmes dans les disciplines liées aux TIC chute de manière drastique à l’entrée dans l’enseignement supérieur et à l’entrée sur le marché du travail [McKinsey, 2023]

Etude Mc Kinsey - Figure 1

Nous pourrions continuer de croire que les filles sont moins attirées ou moins performantes dans les matières techniques enseignées en primaire et en secondaire, mais l’étude montre qu’il n’en est rien. Dans certains pays d’Europe on observe même qu’elles sont devant les garçons sur ces sujets. Sur la figure 1, on observe que l’entrée dans le supérieur est la première rupture dans l’égalité des chances. Dès le niveau bachelor, il n’y a plus qu’entre 31 et 36% de femmes dans les filières technologiques. Si ce chiffre remonte légèrement jusqu’à l’entrée en doctorat, se dresse alors devant les futures professionnelles le second gouffre : celui du premier job. Au moment d’entrer dans la vie professionnelle, elles ne sont plus que 22% à occuper un emploi tech dans les entreprises, tous secteurs confondus, tandis que 37% des jobs de toute sorte sont occupés par des femmes dans les entreprises technologiques.

Les métiers où les femmes sont les moins bien représentés sont ceux les plus reliés au développement, au code, au DevOps et au cloud. On atteint un seuil inférieur à 10% de femmes pour ces deux dernières catégories pourtant extrêmement demandées dans les entreprises.

Figure 2 : Dans l’ensemble des entreprises européennes, les femmes sont les moins représentées dans les fonctions DevOps et Cloud [Mc Kinsey, 2023]

Etude Mc Kinsey 2023 - Figure 2

D’où provient cette faille dans nos systèmes éducatifs ? Est-ce plus largement un problème de culture et de société dont nous avons hérité ?

Revenons quelques décennies en arrière. En 1982, ce sont près de 30%, des informaticiens qui sont des informaticiennes. Plus en amont, en 1969, quand l’Homme fait ses premiers pas sur la lune, c’est bien une femme, Margaret Hamilton, qui a conçu le premier système embarqué de la mission Apollo 11. Le film « Les figures de l’ombre » sorti en 2016, met en scène des femmes afro-américaines qui ont largement participé aux programmes de la NASA et notamment Katherine Johnson qui calculera les trajectoires de la mission Apollo 11. En 1960, les postes de codage en Angleterre étaient presque exclusivement occupés par des femmes.

C’est dans les années 90 que deux grands mouvements ont inversé cette tendance.

C’est en effet, en 90 que l’informatique devient un enjeu stratégique pour les États et les entreprises, gagnant ainsi un prestige qui attire immédiatement une population très masculine. C’est aussi à cette période que l’ordinateur devient individuel. Or ce sont les hommes et leurs fils qui se ruent sur ce nouveau matériel et l’adoptent aussitôt dans le foyer familial.

Et pour autant, notre pays, plus encore que d’autres, gagnerait à rétablir un meilleur équilibre. Puisque si la France réussissait à établir la parité dans le secteur du numérique cela générerait un gain de 10% du PIB d’ici 2025, selon l’étude Mc Kinsey.

Comment redonner aux femmes une meilleure place dans la tech ?

Isabelle Collet, informaticienne et professeure en sciences de l’éducation de l’Université de Genève, explique que 2015 a vu un tournant avec une prise de conscience que le problème ne venait pas des femmes que l’on soupçonnait de moins s’intéresser à la technologie que les hommes, mais bien des institutions et des organisations qui ne faisaient rien ou pas assez pour les attirer. Isabelle Collet a publié un livre « Les oubliées du numérique » en 2019, qui donne un éclairage fort sur la transformation nécessaire. Elle explique qu’il faut d’abord intéresser les jeunes femmes à postuler à la fois aux formations supérieures et aux emplois techniques qui s’ouvrent à elles. Il est urgent par ailleurs, de proposer des formations sur le genre aux étudiants, afin de leur montrer la nécessité de la diversité des profils et d’expliquer que favoriser l’emploi féminin est un moyen de rattraper les conséquences de la censure sociale que les femmes subissent depuis l’enfance.

« Pour inciter plus de filles à aller dans ces métiers, l’une des toutes premières choses, c’est de dire : ce n’est pas tant vous qui avez besoin de ce métier. C’est ce métier qui a besoin de vous : vous êtes attendue, vous êtes espérée, on souhaiterait que vous y soyez plus nombreuses. » déclare Isabelle Collet.

Des structures associatives comme Femmes@Numérique (dont Isabelle Collet est membre du Conseil d’administration) ou le mouvement Sista, collectif visant à réduire les inégalités entre femmes et hommes entrepreneurs, dirigé par Déborah Loye, prennent régulièrement la parole en ce sens.

C’est aussi le cas des #WomeninTech qui ont publié récemment une infographie de Sandrine Delage sur laquelle nous avons relevé quelques chiffres significatifs de l’état d’esprit des français :

41 % des Français pensent que les femmes ne sont pas aussi douées que les hommes pour travailler dans la tech

Plus de 58 % des parents avouent ne pas inciter leur fille à s’orienter vers une formation technologique

61 % préfèrent l’orienter vers un métier « plus facile »

41 % pensent que ces secteurs sont anxiogènes et difficiles pour les femmes

infographie Women in Tech

Le constat, les prises de conscience et la parole donnée aux femmes qui font le numérique et qui sont aussi des entrepreneuses, devraient inspirer les responsables de l’enseignement supérieur. Il y a urgence à mieux accueillir, à promouvoir, à distinguer davantage les femmes de la tech. Si les rôles modèles ne sont pas la seule piste pour aspirer les nouvelles générations vers ces métiers, il n’en reste pas moins que la visibilité des femmes dans les media pourraient être bien plus grande.

Alors quel est l’avis d’une personnalité en vue dans l’eco-système éducatif et technologique, comme Anne-Charlotte Monneret, déléguée générale de l’association EdTech France :

« La pop-culture de la tech domaine réservé aux jeunes hommes nous vient des Etats-Unis, avec l’image des « geek », ados à capuche adeptes du gaming et du code. C’est la conséquence des films distribués par Hollywood, qui nous ont imposé des profils masculins, blancs et plutôt aisés, comme référents de la tech depuis une trentaine d’années. Or le problème c’est que cela n’est pas contré par la mise en avant de role modèles féminins qui pourraient séduire ou rassurer les jeunes filles qui aiment la tech. Sans doute que l’autre cliché qui veut que la tech soit un domaine réservé aux ingénieurs n’aide pas, alors qu’il y a beaucoup d’autres métiers et de formations qui sont utiles aux entreprises de la tech.»

Source : podcast LUDOMAG, Janvier 2023

Comment faire pour sortir de ces clichés alors même que les entreprises sont le plus souvent sensibilisées ou engagées sur le sujet de la diversité ? Allons-nous trouver des éléments rassurants dans la vision stratégique pour le numérique dans l’éducation présentée par Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, le 27 janvier dernier ?

Consulter la Stratégie du numérique pour l’éducation 2023-2027 

Les efforts réalisés en ce sens sont-ils porteurs d’espoir ?

Avant même l’application de certaines directives ministérielles, nous pouvons constater que les écoles d’ingénieurs mais aussi les universités ont fait beaucoup d’efforts pour tenter d’attirer les étudiantes vers ces filières technologiques. Certaines associations ont été jusqu’à proposer des formations 100% féminines, comme chez Social Builder qui a déjà formé 3000 femmes au code en 34 promotions. “Dans ce contexte non mixte, les femmes progressent plus vite, elles se sentent plus à l’aise, ont plus confiance en elles, et se sentent davantage légitimes”, promet-on chez Social Builder.

Ce n’est sans doute pas une solution pour les établissements supérieurs qui pensent au contraire, et semble-t-il à raison, que la mixité est bénéfique à l’épanouissement de tous.

Pour autant, il est utile de rappeler que dans les écoles d’informatique, « 7 étudiantes sur 10 déclarent avoir été l’objet d’agissements sexistes pendant leur formation, allant des blagues aux remarques sexistes sur leurs compétences, jusqu’au harcèlement sexiste, voire sexuel », d’après une étude Social Builder.

Alors, en réponse, certains se concentrent sur les différentes manières de réduire ou d’éradiquer l’auto-censure, fruit des biais cognitifs à toutes les étapes du parcours, qui laissent penser que tout ce qui est scientifique, mathématique ou technologique a été inventé, développé et utilisé par des hommes. Les jeunes femmes sont les « oubliées de l’histoire », et elles ont donc tendance à croire les récits qui magnifient le rôle des hommes. “Il faut stopper l’autocensure par un travail d’information et de désacralisation de l’informatique, en cassant les codes”, assume Chloé Hermary, CEO d’Ada Tech School, logée à Station F au sein de l’incubateur d’HEC. Ada Tech, communique sur des codes très féminins, volontairement, et obtient des résultats, puisque 80% des effectifs de l’école est féminin.

Tout le monde se retrouve pour affirmer que les femmes ont leur place dans la tech comme dans tous les métiers. Les formations universitaires ou privées font de réels efforts pour les accueillir et les encourager. Il convient de continuer ce combat avec détermination, à l’heure où l’on prévoit un déficit de plus de 200 000 postes à pourvoir dans les métiers de la tech et du numérique.

« Le secteur du numérique crée, chaque année, des milliers d’emplois, même pendant la crise du Covid. Plus de 34 000 créations nettes d’emploi ont été enregistrées en 2021. Et les recrutements sont de plus en plus importants, chaque année. On annonce 230 000 recrutements d’ici 2027 dans le secteur. » déclarait récemment Sonia Malinbaum, présidente de la commission Emploi et Formation, chez  Numeum.

Toutes les initiatives sont un pas de plus vers la mixité et la diversité des profils. Nous sommes convaincus que les établissements du supérieur ont un rôle majeur à jouer dans ce combat pour les femmes.

Simone a d’ailleurs formé une équipe de robots parfaitement mixte pour donner l’exemple !