Les universités sont-elles vraiment en retard dans leur transformation numérique comme peuvent le sous-entendre certains médias ?
En Mars 2020, en l’espace d’une semaine, elles ont dû faire face à une situation inédite, au cours de laquelle elles se sont montrées résilientes et efficaces mettant en place des solutions permettant d’assurer la continuité pédagogique pour l’ensemble de leurs étudiants, et ce de manière sécurisée
Cette situation de crise doit rester dans l’esprit collectif exceptionnelle, et ne doit pas devenir le reflet de l’avancée des universités dans le domaine du numérique. Les plateformes de visioconférence, dont tout le monde parle beaucoup, ne sont qu’une partie du spectre des technologies de l’éducation, et leur application généralisée à tous les étudiants, sur toute l’année universitaire, n’est pas un objectif pédagogique. Il est important pour les Robots de Simone de recontextualiser ces sujets, et de mettre en avant la résilience des universités.
Si les établissements français se sont fait quelque peu chahuter par les médias qui ont relayés, à raison parfois, un retard par rapport aux pays étrangers, où en sommes-nous réellement ?
Des universités en permanente évolution !
La question du numérique, et celle de la transformation de l’organisation qui lui est associée, étaient déjà présentes dans les universités bien avant la crise de la Covid-19.
Notamment, la nécessité de s’adapter à un nouveau public, habitué à la flexibilité, la connectivité et la rapidité d’accès à l’information que lui permettent les technologies dont il se sert quotidiennement, mais aussi le besoin d’éduquer, de faire avancer les recherches et de faciliter l’insertion professionnelle, ont poussé les universités dans la voie de la transformation numérique il y a déjà de nombreuses années.
L’université de Rouen, par exemple, était l’une des pionnières en matière d’utilisation de la vidéo avec l’installation d’un portail vidéo dès 2011 ! Depuis, l’université s’équipe et améliore cette technologie qui aujourd’hui est devenue un véritable atout. Avec des salles équipées de solutions de captation vidéo, il est possible de créer facilement un contenu pédagogique disponible en synchrone et en asynchrone, selon les souhaits de l’enseignant et les besoins des étudiants.
Ce système apporte une grande flexibilité et une facilité d’accès aux contenus pédagogiques, qui permet à chacun de personnaliser son apprentissage. Et comme nous l’avons déjà évoqué plusieurs fois sur ce blog, l’efficacité des contenus vidéos n’est plus à prouver. La vidéo est aujourd’hui le format média le plus consommé du trafic internet. Il est donc important d’apprendre à le maîtriser pour en tirer les meilleurs avantages notamment en termes d’engagement.
Parallèlement à l’acquisition de solutions commerciales et depuis déjà de nombreuses années, certaines universités se rassemblent pour innover. C’est le cas du consortium ESUP, né en 2002 de l’association de 5 universités répondant ensemble à un AAP ministériel et constitué depuis 2008 en une association réunissant aujourd’hui plus de 80 établissements français de l’enseignement supérieur désireux de contribuer au développement de solutions numériques innovantes.
Depuis le projet initial d’ENT, ESUP a ainsi porté plusieurs projets significatifs pour la transformation numérique de l’enseignement supérieur public notamment autour de l’authentification unique, de la gestion électronique de documents et du travail collaboratif, de la dématérialisation des candidatures et des recrutements ou encore de la communication auprès des étudiants. Plus récemment, en 2014, à l’heure où YouTube battait déjà son plein, la plateforme d’hébergement et de diffusion de vidéo POD, en parfaite adéquation avec les nouveaux besoins des étudiants, était créée par Nicolas CAN à l’université de Lille. Elle est aujourd’hui portée par ESUP.
Parallèlement au développement de solutions numériques, les universités les plus novatrices proposent également à leurs étudiants et chercheurs des Digital Learning Lab composés d’espaces équipés d’outils technologiques performants pour expérimenter, chercher, tester et appliquer leurs connaissances. Pour n’en citer que quelques-uns, les plus curieux pourront visiter ceux des universités de Tours, Caen, Orléans, Nantes, Lyon 3, Sorbonne Paris Nord ! Mais il y en a beaucoup d’autres …
Dans ce contexte, c’est donc sans réelle surprise que, dans notre enquête pour VP-Num réalisée en Mai 2020, on notait que 98% des universités disposaient déjà d’un LMS Moodle et que la plupart d’entre elles utilisaient Teams, Big Blue Button et encore Zoom pour les cours à distance. Avec la crise et le confinement, les volumes de connexion ont considérablement augmenté, mais les solutions étaient déjà pour la plupart installées. C’est ce que rappelle Brigitte Nominé, Vice-Présidente Stratégie Numérique de l’Université de Lorraine dans notre interview #Univ4Good :
« Les premières semaines, on est passé de 20 000 sessions à environ 70 000 sessions par jour. Les services de la direction numérique ont adapté les capacités des serveurs et le paramétrage pour que les choses se stabilisent et qu’on obtienne un usage tout à fait satisfaisant de la plateforme. »
La capacité des universités à proposer des solutions pour faciliter la pédagogie à distance a ainsi dû s’accompagner d’une capacité à faire évoluer les infrastructures pour permettre la connexion simultanée de plusieurs dizaines de milliers d’étudiants. Dans ce contexte, les équipes des DSI ou DN ont su faire preuve d’une grande capacité d’adaptation, de mobilisation et de résilience.
Du côté humain, les enseignants se sont aussi largement mobilisés, comme nous le confirmait en Juillet 2020, Thierry Spriet, VP Numérique de l’Université d’Avignon :
« On a basculé la quasi-totalité de nos enseignements à distance, de diverses façons. Chaque enseignant a bien évidemment été acteur et décideur de sa méthode et de son approche. »
Mais alors quelles difficultés les universités ont-elles rencontrées durant la crise?
Le véritable problème engendré par cette crise aussi soudaine qu’inattendue, provient de ce que l’on nommerait communément le passage à l’échelle. Car, nous l’avons vu, les outils, les méthodes étaient déjà massivement présents.
Pour autant, dans cette situation de crise, vécue par toutes les universités du monde, il a fallu basculer massivement l’entièreté des étudiants et des équipes pédagogiques sur un format de cours en distanciel. Des dizaines de milliers d’étudiants ont été ainsi, dans l’urgence, réorientés vers des plateformes de visioconférence et des LMS ayant la capacité d’accueillir de grands volumes.
Cette situation dure maintenant depuis plus d’un an et le distanciel n’est plus seulement un outil de crise, mais une véritable nouvelle façon d’enseigner. Force est de constater qu’il ne suffit plus de transposer ses cours physiques de manière digitale, mais qu’il y a tout un environnement à recréer autour du distanciel pour que les enseignements restent attractifs et dynamiques. Les nouvelles formes de pédagogie doivent se généraliser et placer l’étudiant au cœur de son apprentissage.
L’accompagnement des enseignants : le deuxième grand enjeu pour les universités.
Dans la même interview, Brigitte Nominé nous explique comment l’université a pris en compte ce bouleversement des pratiques dès les premières semaines de crise : « On a mis en place des webinaires pour les enseignants qui étaient peu familiers avec la plateforme Arche (Moodle). Ensuite, on a spécialisé les thèmes de ces webinaires qui ont été suivis par près de 600 enseignants chercheurs. » Mais sans doute, faut-il s’interroger plus en profondeur sur les évolutions du rôle de l’enseignant qui s’est notamment vu proposer d’être beaucoup plus actif dans l’accompagnement des étudiants. Diffuser du savoir via des plateformes numériques ne peut être suffisant, tant les connaissances doivent être patiemment expliquées.
Le rôle et les missions de l’enseignant sont en train d’évoluer et comme le souligne Thierry Spriet :
« On doit plutôt imaginer qu’un enseignant a une certaine part à prendre dans l’apprentissage d’un étudiant. Cette part on pourrait la composer en crédit ECTS par exemple. Charge à l’enseignant de décider quelles modalités il va utiliser pour réaliser ses enseignements dans ses crédits. Cela peut être du présentiel, du distanciel, du synchrone ou de l’asynchrone. On a vu qu’il y a plein de façons de faire de l’enseignement et beaucoup plus que du simple face à face avec les étudiants. »
Une approche très semblable à ce qui se fait en Belgique par exemple et notamment à l’UCL.
Certaines universités ont également profité de cette période atypique pour tester des outils numériques favorisant l’interactivité durant les cours.
L’université de Limoges par exemple, propose à ses enseignants un tutoriel pour rendre ses cours plus ludiques avec Wooclap :
Ces nouvelles expériences d’apprentissage ont également fait émerger de nouvelles attentes chez les étudiants. Au-delà d’un accès aux contenus de cours, il a fallu développer rapidement tout un éventail de solutions.
L’investissement numérique s’est donc développé dans les services aux étudiants, tels que les plateformes collaboratives ou les applications mobiles qui permettent de simplifier le travail à distance, ou de créer des espaces d’échanges en dehors des espaces physiques du campus ! Ainsi, des applications mobiles personnalisées, comme Campus M ou AppScho, offrent la possibilité de créer un engagement plus fort entre les acteurs de l’écosystème universitaire en leur donnant un moyen dans la poche d’accéder à l’information, d’échanger, ou même d’interagir avec les infrastructures du campus en réservant une place à la bibliothèque.
Mais si les universités proposaient certains services avant la crise, ce n’est que pendant celle-ci que certains enseignants se sont essayés à de nouvelles pratiques plus connectées. Ainsi pour pallier au manque d’interactions et à la monotonie d’une journée de cours sur zoom, ils ont expérimenté les salles connectées, les solutions de captations vidéo ou des exercices interactifs, qui leur permettent d’innover et de donner un peu plus de perspectives à leurs enseignements. Il convient de souligner ici la résilience des enseignants qui ont su se renouveler, qui ont écouté et se sont adaptés au mieux pour améliorer l’expérience des étudiants. Et c’est en testant qu’ils ont pu découvrir leurs propres besoins, et c’est grâce à leur retour et leur investissement que les universités et les solutions EdTech ont pu, elles aussi, progresser dans la réponse à ces nouveaux besoins.
Les universités font preuve d’une formidable résilience dans des conditions extrêmes depuis plus d’un an. Elles ont su se mettre en mouvement, adapter les moyens et les ressources numériques dont elles disposaient déjà et rapidement intégrer de nouvelles solutions techniques. L’accélération que l’ensemble des acteurs de la filière EdTech invoque est bien réelle, notamment dans la mise en œuvre des technologies permettant le partage des connaissances et la permanence des liens entre enseignants et étudiants. Certes, comme pour tout changement, il y a eu de nombreux efforts d’accompagnements, et beaucoup reste à faire pour fluidifier les pratiques. D’autres actions sont développées dans divers pays étrangers, et là aussi, une veille active et internationale permettra sans doute de s’inspirer des avancées en matière d’hybridation de la pédagogie. Dans un prochain article sur ce blog, les Robots de Simone vous proposeront un exposé des réussites remarquables dans ce domaine.
Toutefois, il est objectivement réaliste de dresser un constat positif et de conserver ce dynamisme pour l’avenir. En effet, les universités françaises examinent dès aujourd’hui toutes les possibilités imaginées par les EdTech, pour faire progresser la performance pédagogique et maintenir une relation de confiance forte au sein de l’enseignement supérieur public. Il reste à espérer qu’une collaboration plus en amont en EdTech et universités puisse voir le jour comme c’est le cas dans les pays du Nord de l’Europe dont nous vous parlions dans cet article.